
En ce temps de deuil national, suite aux récents attentats de Paris, nous allons recevoir, en masse, dans nos cabinets, des patients victimes de traumatismes.
Le traumatisme étant souvent complexe, voici un petit « topos » sur la clinique du trauma :
Lors d’une violence, il y a une invasion brutale de l’être par la dictature de l’agresseur. Il s’agit bien là d’un traumatisme psychique tel que peut le définir Crocq (2007) en parlant d’un « phénomène d’effraction du psychisme, et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un évènement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur. »
Freud (1920), dans son essai « Au-delà du principe de plaisir », explique les aspects dynamiques de sa théorie du trauma en comparant le psychisme à une vésicule vivante en constant remaniement, qui serait protégée par une couche superficielle nommée « pare-excitation », servant à la fois de contenant et de protection à l’appareil psychique, et dont le rôle est de repousser les excitations nuisibles ou de les filtrer en les atténuant pour les rendre acceptables et assimilables. Il définit alors comme traumatiques, les excitations externes, assez fortes pour faire effraction dans le « pare-excitation », et, conçoit l’évènement traumatique comme une expérience suscitant des affects de détresse tels que la frayeur, l’angoisse, la honte, ou la douleur physique, que le sujet ne pourrait pas abréagir. Il écrit à ce propos : « Un évènement comme le traumatisme provoquera à coup sûr une perturbation de grande envergure dans le fonctionnement énergétique de l’organisme et mettra en mouvement tous les moyens de défense. […] Il n’est plus question d’empêcher l’appareil psychique d’être submergé par de grandes sommes d’excitation : c’est bien plutôt une autre tâche qui apparaît : maîtriser l’excitation, lier psychiquement les sommes d’excitation qui ont pénétré par effraction pour les amener ensuite à la liquidation. » Le trauma implique donc des modifications dans le fonctionnement énergétique de l’organisme, et c’est principalement sous l’angle économique que sont envisagées les conséquences du trauma qui instaurent un contre-investissement au profit duquel tous les autres systèmes psychiques s’appauvrissent, entraînant une « paralysie » ou une « diminution » du reste de l’activité psychique. Le trauma est donc la conséquence d’une effraction du pare-excitation, et la cause du traumatisme n’est pas due à la violence mécanique du choc, mais « à l’effroi et au sentiment d’une menace vitale » où le système psychique n’a pu être préparé par une « angoisse signale » que Freud décrit dans « Inhibition, symptôme et angoisse » (1926).
Pour Ferenczi (2006), c’est le « choc » qui fait état de « traumatisme ». Il est caractérisé par « l’imprévu, l’inexplorable, l’incalculable », et est équivalent à « l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre ». L’homme est fait d’organes différenciés et, dans les moments de choc face auxquels le psychisme n’est pas à la hauteur, ou quand ces organes sont détruits avec violence, il se peut que « les organes qui assurent la préservation du soi abandonnent, ou du moins réduisent, leurs fonctions à l’extrême », et que « des forces psychiques très primitives s’éveillent ». Ces dernières vont alors tenter de maîtriser la situation.
Concernant cette nécessité de faire appel à des forces psychiques très primitives, Lebigot (In Crocq, 2007) nous précise que l’image traumatique pénètre très profondément dans l’appareil psychique, atteignant le niveau de l’inconscient (qui pourrait, sous l’effet d’une thérapie par exemple, revenir à la conscience), mais aussi, le niveau, inaccessible à la conscience, du refoulé originaire. C’est, nous dit Crocq (2007), le lieu d’« avant le langage », où se trouvent les premières expériences du nourrisson, « expériences brutes de jouissance dans la complétude alimentaire, ou d’anéantissement par défaut du contact maternel ». Alors, l’expérience traumatique, qui court-circuite le recours au langage, court-circuite aussi le refoulement originaire et renvoie le sujet à ses expériences archaïques d’anéantissement et de jouissance brute. Il est donc, pour citer Crocq (2007), « horrifié, car il se trouve alors face au néant de ses origines, et, fasciné, car il retrouve ainsi l’objet perdu du sein maternel. D’où son attachement morbide à son trauma, mais aussi sa culpabilité pour avoir commis (même s’il n’a pas choisi de la faire) cette transgression majeure. »
On retrouve là l’aspect régressif du trauma où, le sujet, face à une violence qui brise son système de « pare-excitation », va devoir exercer un retour en sens inverse à une étape dépassée de son développement (stades libidinaux, relations d’objet, identifications, etc.). Il va retrouver des mécanismes de défense primaires, qui autrefois, dans « l’avant langage », étaient propices à soulager ses angoisses. Il utilisera alors des mécanismes de défense tels que le déni, le clivage, la projection, l’identification projective, et l’idéalisation afin de se protéger de cette angoisse d’anéantissement.
D’après Daligand (2006), Hirigoyen (2005), et Crocq (2007), les séquelles traumatiques peuvent être de différents ordres : dissociations, sidérations, agitations, comportements d’automate, angoisses, états dépressifs pouvant aller jusqu’au suicide, malaises divers, troubles du sommeil, réminiscences désagréables, états anxieux, tensions chroniques, somatisations, conduites de fuites, perte de libido, troubles de l’humeur, pertes de plaisir, altérations de la personnalité, etc.
Kardiner (In Crocq, 2007) se réfère à un « ego effectif » afin d’expliquer les changements observés chez le sujet traumatisé. L’ego effectif aurait une fonction d’adaptation à l’environnement et est chargé de faire face aux stimuli agressifs. Lors d’un traumatisme, il serait débordé. Il va alors devoir faire appel, soit à des conduites de modification de l’environnement, afin d’éliminer ces stimuli, soit à des conduites de retrait, afin d’y échapper, ou soit à des réactions de contrôle du milieu interne, afin de réduire l’impact des stimuli nocifs. Ainsi, sous l’impact d’excitations violentes, les fonctions habituelles d’organisation perceptive, d’orientation temporo-spatiale, de motricité volontaire et de contrôle neurovégétatif, qui sont utilisées par l’« ego effectif », sont sidérées ou débordées, et il ne lui reste, comme solution, que la contraction sur soi, ou la dissociation, c’est pourquoi, on peut trouver, chez la victime, comme l’énonce Crocq (2007) : « des symptômes d’inhibition, de distractibilité, des conversions sensorielles, sensitives et motrices, des perturbations neurovégétatives et une dépersonnalisations, une tentative désespérée pour maintenir un contact avec le monde au prix d’une fragmentation de la conscience. » Ces symptômes sont donc la traduction des quatre changements fondamentaux de l’ego effectif : « changement quant à la perception du monde extérieur, changement quant aux techniques d’adaptation, changement quant à la perception de soi et changement quant à la régulation neurovégétative ; ils témoignent de l’instauration d’une « nouvelle personnalité […] établie sur les ruines de ce qui fut le système effectif ». »
Cette conception est proche de celle de Ferenczi (2006) pour qui l’angoisse ressentie lors d’un traumatisme consiste en « un sentiment d’incapacité à s’adapter à la situation de déplaisir » où la personne ne peut ni fuir et ni éliminer cette irritation. Il ajoute que « le sauvetage ne vient pas et même l’espoir de sauvetage semble exclu. Le déplaisir croît et exige une soupape. Une telle possibilité est offerte par l’autodestruction qui, en tant que facteur délivrant de l’angoisse, sera préférée à la souffrance muette. Le plus facile à détruire en nous, c’est la conscience, la cohésion des formations psychiques en une entité : c’est ainsi que naît la désorientation psychique. » On comprend là l’enseignement de Ferenczi quand il énonce : « l’angoisse traumatique peut […] se transformer en peur de la folie » (Ferenczi, 2006). D’ailleurs, Ferenczi nous dit que la première réaction à un choc est de l’ordre d’une « psychose passagère » impliquant une rupture avec la réalité traduisant le déni et le clivage. Ferenczi (2006), dira qu’il s’agit, pour la victime, de « stratégies de survie », décrites sous la notion d’« auto-clivage narcissique » : « Au cours d’une torture psychique ou corporelle », écrit-il, « on puise la force de supporter la souffrance dans l’espoir que tôt ou tard cela va changer. On maintient donc l’unité de la personnalité. Mais si la quantité et la nature de la souffrance dépassent la force d’intégration de la personne, alors on se rend, on cesse de supporter, cela ne vaut plus la peine de rassembler ces choses douloureuses en une unité, on se fragmente en morceaux. Je ne souffre plus, je cesse même d’exister tout ou moins comme moi global. »
Les « potentiels » traumatisés sont donc nombreux :
- victimes directes,
- victimes indirectes (témoins, téléspectateurs etc),
- endeuillés…
Tous n’ont pas eu la chance de profiter des services psychiatriques d’urgence.
Par ailleurs, un traumatisme peut en cacher un autre ! Des reviviscences peuvent faire leur apparition.
Ne restons pas seuls !
Si vous vous sentez particulièrement perturbé depuis les attentats, sans forcément être une victime directe, n’hésitez pas à consulter…